La transplantation de microbiote fécal (TMF) en pédiatrie

La transplantation de microbiote fécal (TMF) en pédiatrie

La transplantation de microbiote fécal (TMF) consiste à injecter des micro-organismes intestinaux (présents dans une suspension de selles de donneur sain) dans l’intestin d’un patient malade pour rétablir l’équilibre du microbiote intestinal.

Un ancien traitement remis au goût du jour

C’est en Chine au IV siècle que l’on entend parler pour la première fois de TMF, appelée alors la « soupe jaune ». Ce traitement était indiqué, d’après Ge Hong, en cas d’intoxication alimentaire grave ou de diarrhée sévère (1). Ce traitement reste ensuite assez confidentiel, mais en 1958 est publié le premier cas de TMF dans le traitement d’une colite extra membraneuse (2). A partir de ce moment, les « case report » s’accumulent jusqu’à la réalisation d’une étude (3) qui montre de façon spectaculaire l’efficacité de la TMF pour le traitement de la colite récidivante à Clostridium difficile (CDI). Depuis 2014, ce traitement est présent dans les dernières recommandations européennes (4) et nord-américaines (5) de prise en charge des CDI. Récemment, il y a eu une multiplication des essais de TMF chez l’adulte pour d’autres indications diverses, y compris les maladies inflammatoires intestinales (MICI), le syndrome de l’intestin irritable (IBS), le syndrome métabolique, les troubles neuro-développementaux, les maladies auto immunes, les maladies allergiques, les maladies pulmonaires, la constipation et même la prévention du cancer colorectal (6). A l’heure actuelle, la seule indication validée de TMF reste la CDI, après échec de 2 lignes thérapeutiques différentes.

La TMF en pédiatrie : mythe ou réalité ?

La CDI est un problème beaucoup moins fréquent en pédiatrie. Avant l’âge de 1 an, la bactérie Clostridium difficile ne rend pas malade (7). En pratique la problématique du Clostridium difficile concerne principalement les enfants souffrant de MICI (maladie inflammatoire chronique de l’intestin) (8).

Russell et al. ont rapporté en 2014 une guérison chez 9 enfants sur 10 avec une CDI, avec un suivi de 1 mois à 4 ans après TMF (9). Ces résultats ont été ensuite confirmés par Kronman et al. (10).

Quelques expériences de TMF ont été rapportées dans des maladies inflammatoires intestinales. Vandenplast et al. ont publié une expérience positive transitoire de TMF chez un enfant de 1 an ayant une « colite précoce » (11). L’enfant a été guéri pendant un an, mais a ensuite rechuté et nécessité une colectomie (ablation du côlon). Les mêmes auteurs ont rapporté une expérience similaire de rémission transitoire chez une garçon de 3 ans qui a été quelques mois sans symptômes après 2 administrations provenant d’un même donneur (une par voie duodénale et l’autre par voie colique) (12). Une étude récente sur quatre patients (âgés de 13 à 16 ans) atteints de rectocolite hémorragique, a montré que la TMF n’avait amélioré aucun paramètre (13). Cependant, ils avaient administré seulement 30 ml (10 gr) de matière fécale par sonde nasogastrique.

Compte tenu du large éventail de maladies qui sont associées à une dysbiose (déséquilibre du microbiote intestinal), les indications théoriques de TMF sont nombreuses, telles que les MICI, mais aussi d’autres maladies que les troubles gastro-intestinaux dans lesquelles le microbiote intestinal est perturbé (maladies cardiovasculaires, maladies auto-immunes, troubles métaboliques (14)). Pour l’heure, aucune donnée scientifique ne peut inciter à proposer la TMF dans ces indications et, à l’instar de l’adulte, la TMF ne peut être considérée chez l’enfant que dans le cadre de la CDI.

La TMF en pratique : pas de consensus, beaucoup de questions…

Des recommandations ont été écrites en France pour  assurer le maximum de sécurité dans la sélection du donneur, la préparation et l’administration des selles. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a publié en 2014 puis actualisé en 2015 (15) des recommandations pour la préparation de selles dans le cadre de la recherche clinique. Récemment, le Groupe français de transplantation fécale (GFTF) a publié des recommandations dans le cadre des soins courants c’est à dire pour le traitement de la CDI (16). Néanmoins, de nombreuses questions restent pour l’instant ouvertes. Tout d’abord sur le choix du donneur : au delà de la discussion sur l’exhaustivité des pathogènes à éliminer, l’âge (et le sexe) du donneur sont-ils à prendre en compte ? Faut-il préférer un don anonyme ou dirigé ? Faut-il exclure les donneurs ayant des antécédents de maladies connues pour être associées à une dysbiose comme l’obésité, les maladies auto-immunes ? Ensuite les selles : faut-il utiliser préférentiellement des selles fraîches (émises moins de 6 h avant le transfert) ou bien des selles congelées (17) ? Pour finir, le volume à administrer ainsi que la meilleure voie d’administration (par sonde naso-jéjunale, lavement, au cours d’une coloscopie) ne sont pas encore déterminés.

Des risques à prendre en compte

Jusqu’à présent, aucun effet indésirable grave à court terme n’a été rapporté, ce qui est probablement lié à la sélection méticuleuse préalable des donneurs. La transmission d’agents infectieux non détectés dans les selles du donneur reste un risque et pourrait se produire un jour. Après une TMF, les seuls effets indésirables notés semblent limités à des douleurs abdominales et des ballonnements transitoires. En revanche, pour l’instant aucune étude n’a été en mesure d’évaluer de possibles conséquences de la TMF à long terme (18). Une observation de prise pondérale après TMF a été rapportée (19) et même si l’imputabilité de la TMF en elle-même paraît faible, la crainte de la transmission d’une pathologie liée à une dysbiose à travers une TMF reste présente. Cela est d’autant plus vrai chez l’enfant, surtout avant l’âge de 2 ans, alors que le microbiote intestinal n’est pas stabilisé. En effet, alors qu’un microbiote de type adulte est stable, chez l’enfant, des modifications importantes et précoces du microbiote pourraient avoir des conséquences néfastes à long terme.

En conclusion

A l’heure actuelle, la TMF est le seul traitement qui permet de restaurer un microbiote sain et diversifié en cas de dysbiose. Son efficacité en cas de CDI n’est plus à démontrer. En revanche, dans d’autres indications comme les maladies inflammatoires ou métaboliques dans lesquelles une correction de la dysbiose doit être constamment renouvelée, la TMF n’est pas encore un traitement bien établi. Des études portant sur les problèmes pratiques (selles fraîches/congelées, choix du donneur…) doivent encore être menées avant qu’une réponse consensuelle et définitive ne puisse être apportée à ces questions. Aujourd’hui, une réglementation rigoureuse, mais pas trop contraignante est une priorité afin de minimiser le risque d’administration de suspension fécale à partir de donneurs non sélectionnés, à la maison, sans surveillance médicale. A l’heure actuelle, des formes plus « acceptables » de TMF sous forme de produits lyophilisés ou de gélules (20) sont en cours de développement, en attendant de trouver d’autres moyens de moduler efficacement le microbiote intestinal.

Références bibliographiques

1.     Zhang F, Luo W, Shi Y, Fan Z, Ji G. Should We Standardize the 1,700-Year-Old Fecal Microbiota Transplantation? Am J Gastroenterol. 2012 Nov;107(11):1755–1755.

2.     Eiseman B, Silen W, Bascom GS, Kauvar AJ. Fecal enema as an adjunct in the treatment of pseudomembranous enterocolitis. Surgery. 1958 Nov;44(5):854–9.

3.     Van Nood E, Vrieze A, Nieuwdorp M, Fuentes S, Zoetendal EG, de Vos WM, et al. Duodenal Infusion of Donor Feces for Recurrent Clostridium difficile. N Engl J Med. 2013 Jan 31;368(5):407–15.

4.     Debast SB, Bauer MP, Kuijper EJ, on behalf of the Committee. European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases: update of the treatment guidance document for Clostridium difficile infection. Paul M, editor. Clin Microbiol Infect. 2014 Mar;20:1–26.

5.     Surawicz CM, Brandt LJ, Binion DG, Ananthakrishnan AN, Curry SR, Gilligan PH, et al. Guidelines for diagnosis, treatment, and prevention of Clostridium difficile infections. Am J Gastroenterol. 2013 Apr;108(4):478–98; quiz 499.

6.     Sha S, Liang J, Chen M, Xu B, Liang C, Wei N, et al. Systematic review: faecal microbiota transplantation therapy for digestive and nondigestive disorders in adults and children. Aliment Pharmacol Ther. 2014 May;39(10):1003–32.

7.     COMMITTEE ON INFECTIOUS DISEASES. Clostridium difficile Infection in Infants and Children. PEDIATRICS. 2013 Jan 1;131(1):196–200.

8.     Crews JD, Koo HL, Jiang Z-D, Starke JR, DuPont HL. A Hospital-based Study of the Clinical Characteristics of Clostridium difficile Infection in Children: Pediatr Infect Dis J. 2014 Sep;33(9):924–8.

9.     Russell GH, Kaplan JL, Youngster I, Baril-Dore M, Schindelar L, Hohmann E, et al. Fecal Transplant for Recurrent Clostridium difficile Infection in Children With and Without Inflammatory Bowel Disease: J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2014 May;58(5):588–92.

10.     Kronman MP, Nielson HJ, Adler AL, Giefer MJ, Wahbeh G, Singh N, et al. Fecal Microbiota Transplantation Via Nasogastric Tube for Recurrent Clostridium difficile Infection in Pediatric Patients: J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2015 Jan;60(1):23–6.

11.     Vandenplas Y, Veereman G, van der Werff ten Bosch J, Goossens A, Pierard D, Samsom JN, et al. Fecal Microbial Transplantation in Early-Onset Colitis: Caution Advised. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2015 Sep;61(3):e12–4.

12.     Vandenplas Y, Pierard D, De Greef E. Fecal Microbiota Transplantation: Just A Fancy Trend? J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2015 Apr;1.

13.     Suskind DL, Singh N, Nielson H, Wahbeh G. Fecal Microbial Transplant Via Nasogastric Tube for Active Pediatric Ulcerative Colitis: J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2015 Jan;60(1):27–9.

14.     Merenstein D, El-Nachef N, Lynch SV. Fecal Microbial Therapy: Promises and Pitfalls. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2014 Aug;59(2):157–61.

15.     ANSM. La transplantation de microbiote fécal et son encadrement dans les essais cliniques Juin 2015 – Actualisation de la version de mars 2014.

16.     Sokol H, Galperine T, Kapel N, Bourlioux P, Seksik P, Barbut F, et al. Faecal microbiota transplantation in recurrent Clostridium difficile infection: Recommendations from the French Group of Faecal microbiota Transplantation. Dig Liver Dis Off J Ital Soc Gastroenterol Ital Assoc Study Liver. 2015 Sep 7;

17.     Hamilton MJ, Weingarden AR, Sadowsky MJ, Khoruts A. Standardized frozen preparation for transplantation of fecal microbiota for recurrent Clostridium difficile infection. Am J Gastroenterol. 2012;107(5):761–7.

18.     Lynch SV. Fecal Microbiota Transplantation for Recurrent Clostridium difficile Infection in Pediatric Patients: Encouragement Wrapped in Caution. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2015 Jan;60(1):1–3.

19.     Alang N, Kelly CR. Weight Gain After Fecal Microbiota Transplantation. Open Forum Infect Dis. 2015 Feb 4;2(1):ofv004–ofv004.

20.     Stollman N, Smith M, Giovanelli A, Mendolia G, Burns L, Didyk E, et al. Frozen encapsulated stool in recurrent Clostridium difficile: exploring the role of pills in the treatment hierarchy of fecal microbiota transplant nonresponders. Am J Gastroenterol. 2015 Apr;110(4):600–1.

Docteur Alexis Mosca